LES OISEAUX, LES ORPHELINS ET LES FOUS

De : Juraj Jakubisko

Avec : Philippe Avron (Andrej), Jiri Sykora (Yorick), Magda Vasaryova (Martha), Mila Beran (Landlord)
Slovaquie, 1969, PAL, 4/3 - 78 min
zone 2, couleur,
10.00 €


Titre original : VTAKOVIA, SIROTY A BLAZNI
Titre anglais : BIRDS, ORPHANS AND FOOLS

Version originale slovaque sous-titrée français

Quelque part en Slovaquie, après la guerre, Yorick, Andrej et Marta, trois orphelins, trois fous abandonnés, ne survivent que grâce à leur folie dans un monde insensé et laid. Ils vivent, jouent, aiment et haïssent ensemble. Mais leurs chemins vont finir par se séparer...

LES OISEAUX, LES ORPHELINS ET LES FOUS est le 3ème film de Jakubisko, nouveau chef-d'oeuvre, confirmation internationale d'un grand cinéaste. Figure de proue du cinéma slovaque, avec Hanak et Havetta, surnommé le Fellini de l'Est, Jakubisko crée le film, au titre inspiré par la Bible, sous le choc de l'occupation soviétique de 1968. Film censuré, et redécouvert en 1991, il apparaît d'une totale modernité. Malgré la censure, Jakubisko n'a jamais cessé de tourner jusqu'à aujourd'hui.

Co-production franco-tchéco-slovaque, Jakubisko dirige le comédien français Philippe Avron, la slovaque Magda Vasaryova (MARKETA LAZAROVA) et Jiri Sykora (LES ANNEES DU CHRIST) dans un maelström baroque, débridé, avec un sentiment de désespoir et d'absurdité, en réaction à l'occupation, au totalitarisme et à la destruction. L'amour disparaît dans un torrent de poésie, de douleur et de tendresse, de cruauté et de rêves inaccomplis. Un film extraordinaire qui a profondément marqué une génération de cinéastes (Kusturica) et de cinéphiles.

Masters restaurés, nouveaux sous-titres, et livret analytique inclus.


Extrait des Archives du Festival International du Film de la Rochelle, Hommage à Juraj Jakubisko lors de l'édition 1998.
Texte de Galina Kopaneva

Un destin au goût de scepticisme

La Tchécoslovaquie n'existe plus en tant qu'état. Et pourtant, Juraj Jakubisko (60 ans), natif de Slovaquie orientale et pragois aujourd'hui, reste un réalisateur tchéco-slovaque.

Sa personnalit�, son �uvre et son orientation sont marqu�es par cette double identit� culturelle. Son imaginaire se nourrit toujours d'une enfance pass�e � la campagne, Prague influence le pouls de son temp�rament, et r�gule le flot de son imagination. Au d�but, au milieu des ann�es 50, l'imaginaire de Jakubisko s'est exprim� au travers de la passion du dessin (aujourd'hui encore, ses c�l�bres journaux intimes sont toujours remplis de dessins et de textes bizarres).

Etudiant � l'�cole des arts de Bratislava, Jakubisko a �t� tent� par le dessin figuratif ; il songeait � l'Acad�mie des Beaux-Arts. Finalement, il a opt� pour la photographie. Il a tent� le concours d'entr�e � la Facult� de l'Acad�mie des Beaux-Arts de Prague (FAMU), section Direction de la photographie, mais finalement, il a �t� admis au d�partement de la Mise en sc�ne, d'o� il est sorti dipl�m� en 1966, au moment m�me des grands remous de la Nouvelle Vague tch�coslovaque.

Le temps des exp�riences

Encore �tudiant � la FAMU, Jakubisko s'est rendu c�l�bre par ses films exp�rimentaux au plan de la forme � LA DERNIERE ATTAQUE AERIENNE, CHAQUE JOUR PORTE UN NOM, LE SILENCE, LA PLUIE, EN ATENDANT GODOT. Gr�ce � ces films, il a connu la gloire des festivals - Bergamo, Oberhausen, Mannheim, et nombre de festivals de films d'�tudiant. Avec le recul du temps, Jakubisko parle aujourd'hui d'exhibitions formelles, de jeux de syllabique qui composent ces mots, cens�s exprimer une id�e. N�anmoins, d�s son premier long-m�trage, LES ANNEES DU CHRIST (prim� au Festival de Mannheim en 1967), la critique unanime note que si Jakubisko est bien li� � la Nouvelle Vague, il a su conserver son univers personnel au travers de ce mouvement : il traite de l'image comme un peintre, des id�es comme un po�te, le tout pr�sent� dans un style cin�matographique parfaitement ma�tris�. LES ANNEES DU CHRIST, film dramatique en noir et blanc, est �clair� par des touches d'humour proche du style dada. Jakubisko au travers de l'histoire d'un peintre slovaque � Prague, fait r�sonner les dilemmes de son ��moi �� intime. Le film traite de l'int�gration progressive dans la vie professionnelle, dans le milieu pragois, des chemins dans l'espace de l'amour et, apr�s l'�pisode de la mort du fr�re a�n� du peintre (aviateur de son �tat), de la soumission de l'homme � son destin, de l'acceptation d'une hi�rarchie de valeurs que le h�ros prenait, jusque l�, � la l�g�re. Au cours de l'enterrement du fr�re, dans le village natal, le jeune homme comprend que ces rites simples sont comme un appel � la n�cessit� de s'ancrer dans une ��maison spirituelle ��, comme si cet appel avait initi� un changement dans l'orientation cr�ative de Jakubisko lui-m�me, mais aussi le changement du cours de sa vie.

Le temps de la libert� limit�e

La p�riode agit�e de 1968-1969, entre Prague, l'�tranger et Bratislava, apporte � Jakubisko une ascension enivrante. C'est aussi une exp�rience v�cue qui fait r�f�rence au dialogue d'un de ses h�ros de l'�cran, qui dit : ��Tu es libre puisque tu es fou - et tu es fou puisque tu es libre ��.

Dans le grand vent d'espoir du Printemps de Prague (1968), Jakubisko entreprend de r�aliser une ballade visionnaire des trois guerres mondiales � DESERTEURS ET NOMADES. Il souligne la cruaut� du th�me par l'intensit� des couleurs du folklore (il est son propre directeur de la photographie), il transforme l'�l�ment populaire en cat�gorie esth�tique. Le message pr�monitoire de l'indestructible arrogance humaine est effac�e par un soupir de la Mort personnifi�e : ��Mon Dieu, tu as cr�� l'homme qui, un jour, te tuera toi-m�me ! �� L'espace imaginaire des visions des guerres pass�es et � venir se superposent pour �tre finalement envahi par un cavalier de l'Apocalypse - le char des ��alli�s militaires �� du 21 ao�t 1968...

Durant les jours sinistres de l'apr�s Printemps qui sonne le glas de cette fragile libert� � peine acquise, Jakubisko accepte deux propositions venant de l'�tranger - avec les Fran�ais, il r�alise LES OISEAUX, LES ORPHELINS ET LES FOUS, une cruelle parabole sur cette p�riode ; pour les Italiens il tourne AU REVOIR EN ENFER, LES AMIS, une histoire model�e sur les m�mes bases que le film pr�c�dent. Dans une pr�cipitation fi�vreuse Jakubisko �crit des sc�narii, en collaboration avec Karol Sidon (aujourd'hui rabbin de Prague), et se lance imm�diatement dans le travail de r�alisation.

Le premier film jaillit du choc de l'occupation sovi�tique du 21 ao�t, d'un sentiment de d�sespoir et d'absurdit�. L'atmosph�re des s�quences de l'histoire des trois protagonistes (des oiseaux, des orphelins et des fous prot�g�s de Dieu) rappelle symboliquement l'horreur de l'occupation, de la violence, du totalitarisme et la destruction, dans lesquels l'amour et m�me la vie disparaissent et meurent. Apr�s vingt ans d'interdiction, ce torrent de fantaisie, de po�sie, de douleur et de tendresse, de cruaut�, de cynisme et de r�ves inaccomplis, se fond sans aucun probl�me dans l'ambiance postmoderniste.

En 1990, Jakubisko obtient le Prix de la FIPRESCI au Festival International du Film de Karlovy Vary (R�publique tch�que). Jakubisko a actualis� son deuxi�me film, AU REVOIR EN ENFER, LES AMIS par un tournage compl�mentaire. Cette parabole path�tique n'a pas pris une ride. Elle retrace le destin de personnes qui veulent �tre heureuses, mais qui n'ont pas compris le message de Dieu, des personnes qui ont sacrifi� leur propre libert� et qui cherchent, apr�s une prise de conscience douloureuse, un nouvel espoir.

Le premier film de cette trilogie libre d�gage intens�ment une po�tique qui interpelle, le deuxi�me int�gre la provocation du pop-art, le charme nostalgique de l'art nouveau et la joie du surr�alisme. Ce m�lange magique soul�ve d'une mani�re remarquable le path�tique de la noblesse du c�ur et la faiblesse ridicule, comme si cela �tait le reflet des parties d'ombre et de lumi�re des �mes des d�tracteurs de Jakubisko. Plus tard, Jakubisko dira : ��Je me base sur des histoires que j'ai personnellement v�cues et que je d�veloppe jusqu'au moment o� elles s'�loignent de mon propre destin. Il s'agit d'une forme de th�rapie. C'est aussi ma seule auto-r�alisation. �� Et sans remettre en cause le poids de ses films sur son destin de r�alisateur interdit, Jakubisko ajoute : ��J'ai r�fl�chi �galement � ce que j'aurais fait si je ne tournais pas de films. Cela revient � me demander : qu'est-ce que je ferais si je n'existais pas.��

Le temps de la disgr�ce

Les r�glements de compte r�gime politique / Nouvelle Vague ��contre-r�volutionnaire �� poussent une partie des cin�astes � �migrer. Ceux qui restent sont mis � l'�cart des studios. Jakubisko vit cette p�riode � Bratislava, dans le rang des exclus. Ce n'est qu'en 1972 que le r�gime l'autorise � tourner la CONSTRUCTION DU SIECLE, un film documentaire sur la construction d'un ol�oduc. Cette commande sera suivie de quatre autres films documentaires du m�me type. C'est le ��plan quinquennal � de la r�habilitation de ses ��positions artistiques abus�es �� qui se termine par un beau et sinistre court-m�trage, LE PETIT TAMBOUR (1977) et qui prouve, entre autre, que l'imagination de Jakubisko n'est pas morte. Ensuite, le r�gime permet � Jakubisko de prouver sa relation positive � la culture socialiste en r�alisant des films orient�s vers le peuple : CONSTRUIS UNE MAISON ET PLANTE UN ARBRE (1979) et INFIDELITE A LA SLOVAQUE (1981). Le r�alisme de ces films a persuad� les bureaucrates de la cin�matographie que ce ��formaliste surr�aliste��� sait aussi bien aborder le r�alisme de la vie quotidienne que la com�die burlesque, le tout dans les limites n�cessaires � la morale socialiste.

Le temps de l'ascension

En 1983, Jakubisko sort un nouveau chef d'�uvre. C'est L'ABEILLE MILLENAIRE, une imposante fresque d'apr�s le roman de Peter Jaros. L'histoire du destin presque mythique de trois g�n�rations de paysans durant la p�riode 1887-1917 retrace la prise de conscience nationale et sociale. Le th�me est nourri par la propre histoire familiale de Jakubisko, enrichi par toute une gamme de genres allant de la com�die � la trag�die. Jakubisko d�voile les maillages secrets des amours des a�euls et de leurs descendants, l'existence mystique de la Nature est confront�e aux sentiments et � la vitalit� des protagonistes d�termin�s par l'essor de la civilisation et l'avanc�e de l'histoire, de plus en plus cruelle. Cette chronique familiale, tr�s ��r�gionale � au fond, prend une dimension profond�ment philosophique gr�ce � la virtuosit� de la mise en sc�ne et arrive � �tre une v�ritable fresque du destin de l'humanit�.

Apr�s cette �uvre ��repr�sentative ��, le monde s'ouvre � nouveau devant Jakubisko. Il tourne PERINBABA (1986, avec Guiletta Massina), un conte de f�es en coproduction avec l'Italie. L'ann�e suivante Jakubisko r�alise, dans les m�mes conditions, MAX ET LES FANT�MES, un autre conte de f�es. Il laisse libre cours � la fantaisie, et se d�gage du r�alisme impos�. En 1988, Jakubisko plonge de nouveau dans les r�serves in�puisables de ses souvenirs d'enfance. Son film ASSIS SUR MA BRANCHE, JE SUIS BIEN d�roule sur l'�cran son enfance d'apr�s-guerre, ponctu�e d'une forte dose de fantaisie. C'est une fable, l'histoire d'un trio original - deux hommes bless�s par la guerre et de leur jeune compagne, qui se fera finalement rejeter aux marges de la vie par l'arriv�e victorieuse du socialisme. Paradoxalement, la r�alit� politique des �v�nements a frein� la fantaisie de Jakubisko, et �mouss� l'acuit� de son t�moignage.

Le temps de la libert� illimit�e

Apr�s l'effondrement du r�gime totalitaire, en novembre 1989, et apr�s l'abolition du monopole d'�tat sur le cin�ma, Jakubisko se rend compte qu'il lui faut changer le ton de son langage. Il pense qu'il faut chercher une esth�tique plus proche du cin�ma commercial, mais pas tr�s commercial quand m�me, une esth�tique de communication, mais pas trop non plus. ��Jadis nous avons racont� des films d'une mani�re compliqu�e, en mosa�que, en utilisant des all�gories. Le spectateur ne veut plus jouer � cache-cache, il ne s'int�resse plus au jeu de piste qui tentait d'�largir des grilles des prisons de la p�riode du socialisme.�� Le titre de son nouveau film annonce la couleur : MIEUX VAUT ETRE RICHE ET EN BONNE SANTE QUE PAUVRE ET MALADE (1992). Il s'agit d'un trait� sur le lib�ralisme sauvage en politique et en �conomie, un film sur la na�vet� des illusions quant au salut automatique de l'�conomie de march�. L'histoire oscille entre la r�alit� sociale et l'illusion, variante d'un th�me d�j� trait� plusieurs fois, sur la folie qui se dessine au travers des ambitions cupides et des jeux sans r�gles. Les com�diennes, Deana Horv�thov� et Dagmar Vekrnov� (aujourd'hui �pouse du pr�sident Havel), pratiquent ces jeux qui ne les am�neront ni � la richesse ni au bonheur, mais, par la rencontre avec la l�chet� et le chaos, ils leur donneront une fi�re assurance et la force de se r�aliser avec autod�termination et libre choix.

La partition de la Tch�coslovaquie et l'engagement politique de Jakubisko et de sa femme Deana Horv�thov�, obligent le couple � s'installer � Prague. Deana Horv�thov�, apr�s des ann�es d'efforts ininterrompus, arrive � cr�er les conditions �conomiques n�cessaires � un projet ambitieux : UN MESSAGE AMBIGU SUR LA FIN DU MONDE (1997). Deana Horv�thov� y incarne l'incroyable personnage de Verone-la Juste. La devise du film est tir�e d'une proph�tie de Nostradamus sur une paix de mille ans, pr�c�d�e d'une destruction totale. La vision magique et r�aliste du monde d�rout� de ses voies naturelles se situe dans un village de montagne et dans un temps artificiellement ind�fini. Les rites patriarcaux se confrontent � une civilisation sans dieu ni justice. La Nature se venge par des tremblements de terre, les maisons des coupables sont englouties. La vengeance fait rage... Des accessoires bizarres, des costumes singuliers et d'autres d�tails originaux cr�ent des tableaux fascinants - le carnaval d'une �poque. C'est un v�ritable d�luge cin�matographique, fort et cruel, riche en couleurs, et puissamment �motionnel. Jakubisko condamne l'intol�rance et l'indiff�rence par un m�lange explosif de tableaux et de musique, et ne dissimule pas, cette fois-ci, son scepticisme. Que peut-on trouver d'autre qu'un d�sespoir profond derri�re ces mots-l� : ��Si ce ne sont pas les loups qui tuent, ce sont des moutons qui tuent, si ce n'est pas la haine qui tue, c'est l'amour qui tue. ��

On surnomme Jakubisko le ��Fellini tch�coslovaque ��. Il a �t� li� � ce grand metteur en sc�ne non seulement par l'amiti�, mais aussi par une harmonie de talent et, par une grand nombre de projets, malheureusement jamais aboutis. Il s'agit de sc�narii comme ��Les limites de la m�moire ��, Cent ans de solitude, une fiction magique sur le roman de Marquez, de l'adaptation du roman ��J'ai servi le roi d'Angleterre ��, de Hrabal, du projet de la ��Fl�te enchant�e ��, pour la Lanterne Magique de Prague, qui attend toujours l'occasion de sa r�alisation, de m�me que la com�die musicale, ��La R�bellion des immortels ��, o� Jeanne d'Arc, Einstein, Lucr�ce Borgia, Mozart et les Beatles se rencontreraient...

Pour Jakubisko, la libert� illimit�e a malheureusement, d'am�res limites. Mais le grand Fellini lui-m�me ne r�alisait-il pas des films publicitaires ?

(Traduction : Michael et Marie-Paule Wellner-Pospisil)

Site du Festival International du Film de La Rochelle: http://www.festival-larochelle.org/festival-1998/juraj-jakubisko

Second prix au Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1973

"Entre flower-power et baroque, Les Oiseaux, les Orphelins et les Fous est follement amoral"CHAOS REIGNS

"Etourdissante et poignante sarabande carnavalesque, le troisi�me long-m�trage de Jakubisko, censur� pendant vingt ans, est un authentique chef d�oeuvre baroque."A VOIR A LIRE