MONUMENTA 2008 RICHARD SERRA

De : Fodil Chabbi

France, 2008, PAL, 52 mn
toutes zones, Couleur, stereo


Indisponible à la vente actuellement


Chaque année, un artiste contemporain de renommée internationale est invité à créer une œuvre inédite à la mesure des 13500 m² de la Nef du Grand Palais. Pour l'édition 2008 de Monumenta, le sculpteur américain Richard Serra relève le défi et réalise PROMENADE. Ce film retrace en 52 mn l'aventure de cette exposition et le processus d'élaboration de l'œuvre. Témoignage unique sur un des grands artistes de notre temps et sur un magnifique défi de l'art contemporain, ce film nous fait vivre, jusque dans les coulisses, l'histoire extraordinaire d'une exposition unique en son genre.

Bonus :
Entretien exclusif de Richard Serra avec Alain Pacquement, Commissaire de l'exposition (66 mn).
Fabrication de l'œuvre dans l'usine Industeel de Rives-de-Giers (6 mn).
Diaporama de l'œuvre (51 diapos, 4 mn).

LEMONDE.FR (13 mai 2008)
Dans le cadre de Monumenta 2008, Richard Serra a investi la nef du Grand Palais avec une installation géante tout-acier : 5 longues plaques de 17 m de haut et 4 m de large y prennent en effet place, plaques d’acier dont la mission est de jouer avec le lieu et de provoquer chez le visiteur de drôles d’émois. On peut dire que l’artiste américain y parvient parfaitement, le tour de force ayant d’abord été pour lui de ne pas se laisser écraser par la structure même du lieu. En contre-poids de cette nef immense, ces 5 structures de 75 tonnes chacune semblent en effet presque graciles, jusqu’à quasiment disparaître à l’entrée : elles sont en fait placées perpendiculairement lorsque l’on pénètre dans le Grand Palais, et alors que l’on s’attend à quelque chose de massif, de lourd, de présent, l’effet produit est proportionnellement inverse. C’est fort habile… Mais je laisse à chacun et chacune le soin de faire l’expérience de cet acier étiré vers les hauteurs, de cette PROMENADE – comme l’a baptisée Richard Serra himself – totalement aérée et qui laisse à loisir l’illusion de 4 plaques au lieu de 5 – en effet, elles sont disposées de telle manière que les voir toutes ensembles et entières est ardu.
Au MoMA, l’été dernier, Richard Serra a déjà fait un tabac avec SCULPTURE: FORTY YEARS, une rétrospective de son œuvre, arrivée de loin en tête du palmarès mondial 2007 des entrées d’expos d’art contemporain. Gageons que le Californien attire autant de monde sous la grande verrière du Grand Palais ce printemps-ci, ce qui serait à nouveau une belle revanche pour lui après les polémiques occasionnées par ses sculptures un peu partout dans le monde durant les années 1980. Mais que s’est-il donc passé pour que ce que l’on décriait il y a trente ans devienne passage obligé ? Comme Daniel Buren ou Robert Morris, Richard Serra (né en 1939) s’est fait connaître dans les années 1960 au travers d’un travail sculptural à grande échelle ayant la particularité de vouloir modifier la perception du lieu dans lequel il a été placé. Ici, au Grand Palais, il y parvient donc idéalement, à l’inverse de son prédécesseur, Anselm Kiefer, qui avait dû construire des structures pour abriter ses peintures et leur donner un mur. En effet, pour Richard Serra, jamais question d’atelier ou d’accrochage mural : il s’agit pour lui d’un travail en amont et en équipe en aciérie, avant d’intervenir « in situ » et de laisser lieux et formes interagir au gré du déplacement d’un visiteur allant de surprise en effet de perspective. Ajouté à cela l’utilisation d’un matériau totalement étranger au domaine de l’art – comme l’acier –, ainsi que l’effet produit par le jeu d’échelle, et l’on obtient les fondements de l’art actuel. Comme quoi, l’art est depuis belle lurette « relationnel ».

LEFIGARO.FR (Valérie Duponchelle, 21 mai 2008)
Qui a peur de Richard Serra? A priori pas la France qui pourrait décréter aujourd'hui ouverte la « semaine Richard Serra », tant le géant de la sculpture américaine sera d'actualité en mai à Paris. Demain à midi, l'artiste qui a imposé son labyrinthe de volutes écrasantes au Guggenheim de ­Bilbao et qui règne sans partage dans la toute nouvelle DIA Foundation (État de New York), commencera par recevoir de la ministre de la Culture les insignes de commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres. « Un honneur qui me remplit de fierté », répond l'artiste de l'acier, soudain moins rugueux que sa patine, bien décidé « à porter sa décoration de la République française, quitte à l'accrocher sur (son) pull-over, à la new-yorkaise ».

Demain après-midi, le président-directeur du Louvre, Henri Loyrette, recevra un petit cercle d'élus autour de « Clara-Clara », sa sculpture de 1983, propriété de la Ville de Paris réinstallée en majesté aux Tuileries. Demain soir, le crépuscule servira de son et lumière au Grand Palais pour le vernissage officiel de Monumenta 2008 et la découverte de son travail d'Hercule sous la nef de lumière. Overdose de lauriers ? « Tout le monde aime être aimé. De nature, je ne suis pas un animal très social, mais un artiste doit savoir être un animal politique et assumer sa responsabilité, de la conception de l'œuvre à sa réception. J'ai rencontré plusieurs fois Clinton et Hillary. Bush non, pour quoi faire ? J'ai rencontré le mois dernier Obama, dont je soutiens à fond la candidature. Il sera un grand président et changera la vision du monde sur l'Amérique. »

La violence contenue du conquistador

Il y a de l'ogre et de l'enfant sauvage dans ce sculpteur à la repartie cinglante, artiste penseur, misanthrope forgé par les grands de l'art postwar américain (il ne les a pas tous appréciés comme professeurs) et théoricien extrêmement précis de son propre univers. Pas de demi-mesures pour cet esprit d'une logique mathématique et cette âme bien trempée qu'on sent vibrer de la vio­lence contenue du conquistador. Dans la même séquence, Richard Serra explique avec la patience du maître comment ses cinq énormes plaques tiennent en équilibre miraculeux sur le béton du Grand Palais, sans broches ni mise en péril du sous-sol parisien, par un jeu de cubes d'acier invisibles.

Puis, en une seconde, le deus ex machina s'insurge et fait tomber sa foudre sur une idée reçue, une interprétation, pire une initiative qui ne cadre pas avec son plan d'ensemble. Pas de photos depuis les balcons, « puisque le visiteur n'appréhendera pas l'œuvre ainsi ». Pas de point de vue à privilégier dans cette PROMENADE inégalée en ce royaume clos, « puisque c'est le visiteur qui crée l'œuvre en marchant tout autour, en changeant de perspective, en la redéfinissant et en l'apprivoisant par son regard avec cet autre paramètre qu'est le temps ». « L'art n'est pas un objet à consommation immédiate », dit-il, un vulgaire reliquat culturel du fast-food. Silence de cathédrale sous la nef du Grand Palais. En 2002, dans la vidéo désormais culte, Cremaster 3, le jeune artiste américain Matthew Barney, aussi baroque que Serra est épuré, s'est réservé le rôle de l'apprenti et lui a donné celui de l'architecte du temple de Salomon, Hiram Abiff, promis au meurtre et à la résurrection dans sa toute-puissance. Le rôle lui va toujours comme un gant.

Moins tendu à Paris qu'à ­Venise, avant le montage pharaonique au Grand Palais en seulement dix jours, avec grues et parcours prédéterminé des camions pour respecter le sol et ses zones creuses, le grand sculpteur, qui a fiché ses murs d'acier, d'Essen à Berlin, de Londres à Luxembourg, sourit enfin. « Ce que tout le ­monde expérimente à Paris, c'est la promenade. Le long des Champs-Élysées, dans les jardins ou au bord de la Seine. L'espace public se ­révèle à vous au fil des jours dans la continuité de cette promenade. Toute personne qui marche dans Paris a la sensation que Paris lui appartient », souligne cet admirateur de Brancusi, Giacometti et Picasso. « Ma sculpture au Grand Palais est une extension de cette promenade dans la ville. Je veux susciter un autre regard sur l'espace et l'architecture du Grand Palais, mais aussi sur cette ville à la beauté glorieuse et intacte. »

LIBERATION.FR (Frédérique Roussel, 9 mai 2008)
« Comment emplir cet espace ? », s’est demandé Richard Serra la première fois qu’il a embrassé du regard la verrière du Grand Palais. L’artiste américain, connu pour ses sculptures monumentales d’acier, s’est d’abord senti submergé par l’ampleur de la nef signée de l’architecte Henri Deglane. Il l’a arpentée, réfléchissant à l’échelle de l’œuvre qui pourrait s’épanouir dans ses 13 500 m². Soupesant les dimensions du lieu, calculant avec la lumière changeante du ciel de Paris, imaginant les êtres déambulant sous la coupole de hauteur « divine ». Tonnant vertige qui a pris le sculpteur de 68 ans, pour qui les espaces vastes sont l’ordinaire. En témoigne sa gigantesque installation « The Matter of Time » (2005) au Musée Guggenheim de Bilbao.

Élévation. C’est le défi unique de Monumenta, inaugurée en 2007 avec l’Allemand Anselm Kiefer : je te laisse les clefs de la nef du Grand Palais, dit le ministère de la Culture, et tu l’investis à sa mesure. La manifestation avait été fréquentée sur cinq semaines l’année dernière par 135 000 visiteurs. Après la deuxième édition signée Serra, ce sera au tour du Français Christian Boltanski, en 2009, de se confronter à cette cathédrale de verre et d’acier.

Retourné à New York, où il vit, Serra a continué à gamberger et à réaliser des maquettes. « En marchant de long en large sous la verrière, j’avais tourné autour de l’axe central. J’avais pensé à une œuvre qui exprime l’horizontalité et la verticalité. » Comme toujours, il lui importait de réaliser une structure épurée, éprise du lieu. Si ses dernières réalisations privilégiaient les ellipses et la profondeur, il signe ici une élévation sans torsions.

Sur une ligne centrale, dans la longueur du Grand Palais se trouve donc installée jusqu’au 15 juin PROMENADE. PROMENADE, ce sont cinq immenses plaques d’acier, hautes de 17 mètres, larges de 4 et épaisses de 13 centimètres. Le poids n’est pas un détail en général pour l’artiste américain, qui jongle avec les tonnes. Chacune des plaques de PROMENADE en pèse 75 et se trouve espacée de la suivante de 28 mètres. Leur légère inclinaison sur le côté, de 1,69 degré, leur confère un mouvement. Elles n’apparaissent pas posées, mais comme ancrées dans le lieu depuis toujours.

L’alignement exact aurait risqué de les couper de la totalité de l’espace. Serra les a placées en quinconce. Des expériences antérieures l’ont encouragé dans cette direction. Notamment « Ballast » (2003), réalisé pour l’Université de Californie, à San Francisco, formé de deux plaques d’acier inclinées de 15 mètres de haut.

Symbole. Est-ce réussi ou raté ? L’entrée ouvre discrètement sur les tranches et le visiteur doit se diriger vers l’extrémité des ailes pour appréhender l’enfilade. Ce n’est que là que l’installation prend toute sa mesure, invitant, comme son titre l’indique, à circuler entre les plaques. L’objectif de Richard Serra se tient là. La forme n’a pas de valeur en soi, pour celui qui usine l’acier depuis les années 70. C’est l’expérience du visiteur, sa relation à l’espace, qui représente le vrai sujet. « Le véritable contenu de l’œuvre se situe dans l’expérience publique partagée », explique le sculpteur. Dans le cas du Grand Palais, « Serra insiste sur le caractère « public » de cet espace, qu’il compare à un grand hall de gare », écrit dans le catalogue Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne (Centre Pompidou) et commissaire de Monumenta 2008.

Pour Richard Serra, être accueilli à Paris, dans ce qui s’apparente pour lui à « un sanctuaire », a aussi valeur de symbole. Boursier de l’université de Yale en 1965, il a séjourné un an dans la capitale française, où il a découvert Brancusi et côtoyé Giacometti. Il renoncera à ce moment-là à la peinture pour la sculpture.

A l’occasion de Monumenta, « Clara-Clara », formée de deux immenses lames de métal courbe de 32 mètres de long, a été ressortie pour six mois au jardin des Tuileries. « Clara-Clara » avait été installée lors de l’exposition de Serra à Beaubourg, en 1983, puis déplacée dans un square du XIIIe arrondissement, avant de disparaître.